dimanche 26 février 2017
Trump et la religion
En quoi l’entrée de Donald Trump à la Maison Blanche le 20 janvier 2017 montre-t-elle l’émergence de nouveaux équilibres et une réorganisation du monde catholique au défi de la crise actuelle des modèles de mondialisation ? Thomas Tanase présente ici une réflexion solidement argumentée et particulièrement féconde.
L’élection de Donald Trump et la défaite d’Hillary Clinton en novembre 2016, intervenus après le Brexit du mois de juin 2016, indiquent sans doute la fin d’un cycle politique qui avait vu son apogée dans les années 1990, sous la présidence du mari d’Hillary, Bill Clinton. La mondialisation reposant sur un libre-échange économique le plus ouvert possible, appuyé sur la libre circulation des personnes et les transformations sociétales, est aujourd’hui largement remise en cause, alors que les crises actuelles semblent confusément indiquer la réémergence des États et des Nations. Or, de manière significative, la question du vote catholique est apparue avec une importance inédite au cours de la campagne électorale américaine. De fait, cette crise remet aussi en cause le rôle d’acteur central de la mondialisation que la papauté a patiemment cherché à construire depuis les années 1960 grâce aux communautés catholiques et aux associations, et que nous avons récemment décrit sur Diploweb [1]. En quoi le test américain de novembre 2016 montre-t-il l’émergence de nouveaux équilibres et une réorganisation du monde catholique au défi de la crise actuelle des modèles de mondialisation ?
La question catholique a d’autant plus occupé le débat public que l’échange de propos critiques entre le pape François et le candidat républicain n’est pas passé inaperçu. De nombreuses raisons expliquent la méfiance du pape, dont les critiques émises le 18 février 2016 à l’endroit de ceux « qui veulent ériger des murs » étaient une réponse directe aux propos de Donald Trump sur un pape jugé trop « politique » et, plus généralement, à une rhétorique perçue comme offensante pour les Hispaniques des États-Unis [2]. Or ces propos ont été tenus dans l’avion qui ramenait le pape d’un important voyage apostolique qui avait commencé le 12 février 2016 par une rencontre inédite dans l’île de Cuba avec le patriarche de Russie, Cyrille. La déclaration commune parle d’une rencontre dans une île entre Nord et Sud, Est et Ouest, alors que « la civilisation humaine est entrée dans un moment de changement d’époque ». Elle célèbre le renouveau des forces chrétiennes en Amérique latine et déplore la restriction des libertés religieuses, en particulier dans les sociétés sécularisées, évoquant dans la foulée une intégration européenne « qui ne serait pas respectueuse des identités religieuses » [3]. Au Mexique, le pape a célébré la messe avec les communautés indigènes du Chiapas avant de passer à Ciudad Juarez, et de célébrer une messe retransmise en simultané de l’autre côté de la frontière, dans la ville texane d’El Paso, acte qui fait pendant à son premier voyage pontifical dans l’île de Lampedusa.
Les propos du pape sur Donald Trump dans l’avion du retour ne sont donc pas des propos isolés, mais traduisent une véritable cohérence de la géopolitique pontificale. Il s’agit bien de renoncer à une inscription occidentaliste de la papauté, choix doublé de la critique d’un modèle de sécularisation des sociétés occidentales perçu comme agressif, destructeur sur le long terme. Il s’agit de l’élargissement d’une politique dont on peut faire remonter le fil déjà aux années 1960, dans le sillage du concile de Vatican II, politique qui consiste à vouloir s’ouvrir aux pays du Sud pour faire du catholicisme une réalité véritablement globalisée, universelle (sens même du mot catholique). Le pape argentin ne peut dès lors que redouter le retour des États-Unis à une tradition nationale fermée, dont une des premières conséquences serait de mettre le catholicisme en porte-à-faux. En effet, on oublie parfois à quel point la culture puritaine et républicaine des États-Unis était initialement hostile au catholicisme [4]. Il a fallu la lente montée en puissance des Américains d’origine irlandaise, italienne, longtemps objet de préjugés particulièrement lourds associés à leur religion, pour que le catholicisme soit mieux accepté. Historiquement, c’est le parti démocrate qui les a le mieux intégré : les succès de ce parti au XXe siècle ont justement été bâtis sur sa capacité à intégrer un peuple américain plus large que le seul noyau blanc et protestant du Nord industriel.
Quant au retour de la papauté au centre de la scène internationale après 1945, il s’est fait en synchronie avec la politique américaine, dans le cadre de l’alliance nouée au temps de la guerre froide. L’ouverture du concile de Vatican II s’est faite en une époque de détente et d’ouverture sociétale, des États-Unis à l’Europe. La relation privilégiée entre Washington et le Vatican atteint son apogée dans les années 1980, aux temps de Ronald Reagan et de Jean-Paul II. De manière significative, ce n’est qu’à cette date, en 1984, que les relations diplomatiques entre les deux États ont été formellement rétablies. Mais parallèlement, face aux mouvements de libéralisation sociétale, la hiérarchie catholique américaine a également commencé à cette date à se rapprocher des républicains, qui combinaient l’ultralibéralisme économique avec un discours sur les valeurs inspiré des mouvements religieux protestants. C’est toujours au cours des années Reagan que s’accélère le mouvement qui voit le vote catholique, jusque là tendanciellement démocrate, glisser progressivement vers les républicains. Dès cette époque, le groupe catholique, dont le poids ne cesse de gonfler, ne peut déjà plus être décrit comme un ensemble cohérent, mais reflète de plus en plus les orientations générales de l’électorat dans son ensemble ; les « white catholics » commencent à voter en majorité pour les républicains, les hispaniques restent du côté des démocrates [5].